Les peintures à la détrempe

Réalisation de l’œil d'un tigre à la gouache sur toile. Cette gouache est recouverte d'un vernis brillant au dammar.

Après avoir défini quatre catégories pour les peintures, j’aimerai me pencher sur les peintures dites à la détrempe.

Ce sont les peintures les plus anciennes au monde, les premières créées par l’humanité pour la plupart. Malheureusement, il nous reste peu de ces réalisations du passé et heureusement, certaines de ces peintures sont fortement utilisées à l’heure actuelle.

Terminologie de la peinture à la détrempe

Tout d’abord, je veux absolument marquer la différence entre les peintures à la détrempe et les peinture à la tempéra, car cette différence est de plus en plus importante aujourd’hui qu’auparavant.

Étymologiquement, les termes détrempe et tempera viennent du latin temperare, désignant l’action de délaver, délayer les pigments à l’aide d’un diluant ou agglutinant (liant), ne faisant pas attention à la nature des éléments employés.

Nous pouvons trouver cette description à la page 267, dans le volume 1 du livre de Giorgio Vasari Les vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes où ces deux termes étaient employés comme des synonymes, décrivant des peintures délayées à l’œuf.

Mais grâce à d’autres écrits, les termes détrempes et tempera se distinguent, ne désignant plus une action, mais des recettes de peintures.

Dans le Dictionnaire des matériaux du peintre de François Perego, on y explique que dans des écrits de Cenino Cennini, ainsi que dans le livre d’Arsenne Manuelle du peintre et du sculpteur, cette distinction se développait et les peintures à la détrempe étaient associées à des peintures à base de colles d’animaux.

François Perego défini ainsi le terme détrempe d’après ses recherches :

« Il semble que l’on peut définir correctement les détrempes comme des peintures en liant aqueux non gras dans lesquelles celle-ci reste soluble dans l’eau après séchage, tout phénomène de vieillissement mis à part».

PEREGO, F., Dictionnaire des matériaux du peintre, Belin, Paris, 2005, p. 253

Un autre auteur, Jean-Pierre Brazs confirme la précédente définition, dans son livre Manières de peindre. Carnet d’Atelier :

«(…) et entendons donc par « détrempe » des peintures utilisant des pigments liés avec une matière filmogène soluble dans l’eau, utilisant l’eau comme diluant, et qui sont
réversibles
, c’est-à-dire que le film reste plus au moins soluble dans l’eau après séchage : par exemple les gommes en solution, les colles d’amidon, les gélatines animales, le liant cellulosique. »

BRAZS, J.- P., Manières de peindre. Carnet d’Atelier, Notaris, Genève, 2011,
p.133.


François Perego et Jean-Pierre Brazs confirment que les aquarelles, les gouaches, les peintures aux colles animales, colle d’amidon, colle de farine, et même le blanc d’œuf, font partie des peintures à la détrempe. Mais y sont exclus les peintures acryliques, à l’acétate de polyvinyle, les peintures aux silicates, etc.

Exemples de peintures à la détrempe

Il reste peu de peintures à la détrempe qui ont pu nous parvenir jusqu’à nous. Il existe des traces de peinture aux colles animales et végétales sur des parois, des tissus d’embaumement, des sculptures en bois et en pierre et dans des manuscrits.

Il existait des peintures à la détrempe sur des toiles de lin à l’époque d’Albrecht Dürer, au 15e et 16e siècle, qui sont désignés sous le terme de tüchlein. C’était pour distinguer les peintures à l’huile ou à la tempera qui présentaient un enduit blanc sur des supports toiles ou panneaux, dont les tüchleins en étaient dépourvus.

Cette peinture est caractéristique du tüchlein qui est réalisée à base d'une peinture à l'eau sur une toile de lin encollée.
La Parabole des aveugles de Pieter Brueghel l’Ancien, 1568. Musée Capodimonte, Naples. Cette œuvre est une peinture à la détrempe sur une toile de lin.

Comme le film des peintures à la détrempe est soluble à l’eau et que l’enduit doit être plus maigre que la pâte picturale ( et qui est donc aussi soluble à l’eau), il était difficile de peindre en couche, sans que les couleurs se mélangent. Les couleurs sont directement appliquées sur la toile qui était encollée d’une colle animal.

Des peintures à la détrempes ont été produites durant le mouvement artistique Nihonga, qui est apparu dans les années 1880. Ce mouvement voulaient distinguer les productions artistiques d’influence occidentale des réalisations issue des traditions japonaises. Ces peintures sont à base de gélatine nommée nikawa.

Une peinture à la colle animal sur soie, représentant un chat tigré. Réalisation de Takeuchi Seihō
Takeuchi Seihō, 1924. Chat tigré. Couleurs sur soie. Musée d’Art Yamatane, à Tokyo. Une œuvre qui s’insère dans le mouvement artistique Nihonga

Caractéristiques des peintures à la détrempe

Toutes les peintures à la détrempe sont reconnaissables par leur aspect mat de leur film et leur réversibilité à l’eau.

Bien sûre, tous les films de peintures mats ne sont pas tous des peintures à la détrempe, car l’effet mat peut être donné par un vernis final ou par l’ajout d’un médium dans la pâte picturale.

Et l’effet brillant ne doit pas exclure l’utilisation d’une peinture à la détrempe, qui justement, a besoin d’un vernis plus gras pour les préserver plus longtemps de l’humidité.

Les autres caractéristiques de ces peintures se constatent dans la pratique. La pâte picturale a tendance à tirer sur les poiles du pinceau, séchant rapidement.

Si la pâte picturale d’une détrempe n’est pas appliquée en fine couche, elle peut créer un réseau de fines craquelures à sa surface. C’est due à l’évaporation rapide de l’eau et du pouvoir collant du liant. Ce qui en fait la fragilité de ces peintures.

Les peintures à la détrempe, appliquées sur une toile présentent une fine couche qui, à certains endroits, n’arrivent pas à recouvrir les interstices de la toile.

Réalisation de l’œil d'un tigre à la gouache sur toile. Cette gouache est recouverte d'un vernis brillant au dammar.
Réalisation de l’œil d’un tigre à la gouache sur toile, en 2022. Cette gouache est recouverte d’un vernis brillant au dammar.
Détail de la réalisation ci-dessus. Certains coups de pinceaux ne recouvrent pas  les interstices de la toiles. On voit que certaines lignes blanches sont floutés à cause de la couleur noir qui s'est solubilisée.
Détail de la réalisation ci-dessus. Certains coups de pinceaux ne recouvrent pas les interstices de la toiles. On voit que certaines lignes blanches sont floutées à cause de la couleur noir qui s’est solubilisée.

Cet exemple n’est pas une généralité pour toute les peintures à la détrempe, mais illustre bien la difficulté de superposer.

Conclusion

Les peintures à la détrempe sont les premières peintures utilisées depuis la création de l’humanité avec les colles animales, puis avec des colle végétale à l’apparition de l’agriculture.

C’est seulement à partir du 15e siècle que l’homme commence à distinguer les différents types de peintures pour les effets optiques variés que ces dernières peuvent fournir, surtout avec l’apparition de la peinture à l’huile.

Cependant, certains termes techniques restent flouent et ne seront seulement défini au 19e siècle, suite à l’ouverture du Japon au monde occidental. Des artistes japonais veulent distinguer les réalisations japonaises dites traditionnelles avec l’emploi de colle animal que les occidentaux ont abandonné. Mais ce sera aussi l’essor de d’autres peintures à la détrempes comme la gouache et l’aquarelle qui envahissent l’Europe.

Les peintures à la détrempe se caractérisent par leur film de peinture d’aspect mat. La pâte picturale sèche rapidement et reste réversibles à l’eau, même après séchage et selon le temps écoulée. Les peintures à la détrempe s’adaptent mieux au support papier qu’au support toile et panneaux, ne sachant par aller loin dans la superpositions des couleurs.

Elles peuvent être utilisées pour appliquer les couleurs de fond d’une toile, avant de passer à une peinture plus grasse comme l’acrylique ou la peinture à l’huile.

Je vous remercie d’avoir lu jusqu’ici ! N’hésitez pas à me faire vos retours en commentaires. Il y aura d’autres articles sur ces peintures à la détrempe. Il reste beaucoup de réalisations à découvrir dans d’autres endroits du monde 😉

2 réponses à “Les peintures à la détrempe”

  1. Avatar de Laetitia
    Laetitia

    Merci Sarah pour cet article. Je ne connaissais pas du tout les peintures à la détrempe, c’est fort intéressant!

    1. Avatar de Sarah

      Merci pour ton retour 😊
      Je vais faire d’autres recherches sur les différentes peintures dites à la détrempe. Car elles ont été créées et développées dans un contexte spécifique. N’hésite pas si tu veux que je fasse un article sur un sujet qui t’intéresse en peinture 😉

Laisser un commentaire

%d